Les doux matins d'hiver

@Lasota & Zima Ioanid

J'ai toujours été une lève-tôt et me réveiller aux aurores n'a jamais été une source de problèmes, mais depuis quelques temps, Irina a pris l'habitude de se réveiller avant moi et elle n'hésite pas à me faire suivre avec force et persuasion. En faisant beaucoup de bruit sur le plancher, par exemple, en s'esclaffant joyeusement dans la salle d'eau ou en philosophant régulièrement à haute voix avec elle-même. On m'avait prévenue, pourtant, que mes mauvaises habitudes finiraient par se retourner contre moi... Et dès que j'ai posé le pied par terre en sortant du lit, je peux dire adieu à toute notion de tranquillité. De son petit déjeuner à son trajet jusqu'à la classe, Irina retient toute mon attention et elle est encore trop jeune pour se débrouiller de manière autonome, même si elle aime se débrouiller par elle-même, pour mon plus grand plaisir. Et comme ses pouvoirs se sont manifestés plus régulièrement ces derniers mois, je dois prêter une attention toute spécifique à sa maîtrise. L'auberge n'ouvre qu'à midi mais je prépare le service dès le matin, en  m'approvisionnant en produits frais chez les producteurs locaux. Avant le service, le fermier me fait livrer ses produits laitiers et même si j'ai souvent un jeune apprenti à mes côtés pour m'aider avec les aspects techniques, je me sens obligée de vérifier moi-même le conditionnement des denrées et m'assurer qu'elles soient rangées à la bonne place. Mon apprenti actuel, Vali, commence à en avoir un peu marre, je crois, mais si je le laisse faire à sa guise, il n'appréciera pas non plus que je vienne vérifier son travail en cachette. Autant le faire directement, non ?

En attendant, quand la classe a commencé et que j'ai laissé ma fille aux bons soins de ses enseignants, je peux profiter d'une petite heure pour marcher dans les sous-bois, près de l'auberge car mes fournisseurs préparent encore mes paniers. En général, j'en profite pour jardiner un peu mais en plein hiver, mon petit potager personnel, dans l'arrière-cour de l'auberge, ne fait pousser que des pommes de terre et des oignons, qui poussent assez bien toutes seules. En automne, je profite de la saison pour cueillir des noix ou des champignons, dans les coins où ils sont en abondance. Mais à cette période de l'année, il n'y a pas grand-chose à ramasser et je profite simplement d'une occasion de me détendre avant de retourner au village. Je n'aurais que peu d'instants de répit, alors je profite de celui-ci en m'imprégnant de la douce odeur d'humidité après la rosée matinale. La neige encore épaisse sous mes pas ne craque plus et se contente de fondre sous le soleil un peu timide qui perce entre les arbres. Et je perçois ton odeur, masquée, discrète, parce qu'elle parfume tout alentour, toi qui peut incarner chaque nuance de cette forêt jusque dans ses détails les plus infimes. Je ferme les yeux un moment, inspire une grande bouffée d'air frais en m'allongeant sur le sol. L'aspect nacré et brillant de la neige m'a demandé beaucoup de patience et de persévérance et  les différentes nuances de couleur entre le blanc pur et le brun de la neige souillée ont été des exercices difficiles à l'adolescence. Tu es là, je le sens par le léger frisson qui parcourt ma nuque. Assise d'un bond, je saisis une poignée de neige dans une main et l'envoie dans la direction d'un arbre, direction dans laquelle je sens le plus ta présence même si je ne te vois pas. Ça a toujours été un petit jeu entre toi et moi ; devoir deviner où tu es et quelle forme tu as prises. Tu es encore le maître dans ce domaine, évidemment. « Encore raté ! Décidément... » je marmonne dans une grimace ironique alors que ma boule de neige tape lamentablement dans le tronc.

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Les doux matins d'hiver

@Zima Ioanid & @Lasota

La nature a revêtu son manteau de nacre. Le blanc pur recouvre les sous-bois et cache les plantes en sommeil. Le silence règne, brisé de temps à autre par le crissement des cristaux de neige sous les pattes des animaux. Il n’y a pas de Touristes pour se perdre en forêt à cette période-ci de l’année. La nature a repris ses droits. Et elle a isolé Bran à nouveau du reste du monde, nous plongeant dans cette petite bulle protectrice, qui a toujours été la nôtre. Assisse sur un tronc recouvert de gel, je regarde avec amusement un oiseau sautiller sur le sol blanc. Un léger sourire me parvient. Quand je tends la main dans sa direction, le volatile vient se poser sur mes doigts. Lentement, je sors quelques graines de ma poche et je les lui offre. Je fais toujours des réserves pour les petits animaux, qui n’hibernent pas. Après tout, c’est mon rôle de  prendre soin de la forêt et de ses habitants. Aucun ne me redoute. Tous se sentent bien en ma présence. Mes journées peuvent paraître bien monotones aux Mortels. Moi, c’est leur obsession du travail, de se mettre des délais que je ne comprends pas.

Quand mon petit protégé a fini son repas, il émet un sifflement de remerciement avant de s’envoler. Je le suis du regard quelques instants avant de me remettre debout. Si j’ai un antre où je me repose et retourne presque chaque nuit au cœur des sous-bois, je passe mon temps à arpenter les sentiers invisibles. Parfois je les modifie. Parfois j’erre sans suivre un chemin tracé. Après tout la forêt est presque une partie de mon être. Je constate que mes pieds m’ont amené non loin du village. Je peux aller l’observer prendre vie doucement en cette matinée neigeuse. Il est assez rare que je me mêle vraiment aux Habitants. Mais cela arrive. Parfois j’erre ici pour veiller sur ma fille. Enfin la seule que je connaisse vraiment. Mais pas aujourd’hui. Ton odeur m’est parvenue. Alors je remonte la piste, curieux de savoir ce que tu peux bien faire en forêt à cette heure-ci.

Quand j’arrive près de toi, tu t’es fondue dans le décor de nacre du sol. Je reste dissimulé dans les arbres, reprenant les diverses couleurs sombres des plantes des sous-bois. Je sais que tu as senti ma présence. Pour preuve, tu lances une poignée de neige trop à ma droite tout en te redressant. Tu constates ton échec seul. Alors que je laisse luire mes yeux rougeâtres avant d’avancer vers toi. Peu à peu je sors du décor, et je prends une apparence humaine. « Effectivement. Tu as encore du travail. », je constate en haussant des sourcils. Mon regard clair erre un moment sur l’endroit que tu visais. « Ne te décourage pas. Tu surprendrais un Humain ou un Hybride. Mais un Mythe… On ne peut pas rivaliser avec des millénaires d’entraînements ! », j’ajoute avec un sourire mutin. « Que fais-tu ici ? »

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