La parole des Rois

Dracula & Koschei

Un sourire aux lèvres, j’avais laissé mes trois premiers-nés dans la Grande Salle. Ils se disputaient encore pour savoir lequel d’entre eux était le plus digne de me succéder. J’avais d’ailleurs ma petite idée là dessus. Pourtant, je n’en avais encore rien dit. Je n’avais pas pris de décision définitive. De toute façon, je n’avais pas l’intention d’abdiquer ni maintenant ni jamais. Mais mes généraux m’avaient mis devant les faits. Si j’étais immortel, je pouvais toujours mourir sur un champ de bataille tué par un autre mythe, le feu était notre faiblesse, la mienne encore plus et je devais veiller à ce que mon peuple ne soit pas laissé à l’abandon s’il m’arrivait quelque chose. Je reconnaissais la logique de leur propos mais j’avais la fâcheuse impression de me faire enterrer avant l’heure et cela ne me plaisait pas.

Je laissai donc le suspense planer au-dessus de la tête de mes fils revenus à mes côtés pour me soutenir lorsque j’avais repris mon trône en Valachie. Ils étaient braves, fidèles et intrépides et ils avaient les qualités de base requises pour le poste. Mais voilà, j’aimais aussi les faire mariner, les voire s’écharper et tant qu’ils ne décideraient pas de s’entre-tuer, je me ferais un plaisir de jouir encore de ces petites querelles d’enfants.

Pour l’heure, j’avais rendez-vous.

Et je ne tenais pas à être en retard.

J’étais comme j’étais, froid, calculateur, provocateur aussi sur les bords, j’avais toujours été ponctuel, même lorsque je ne le voulais pas. Je m’étais habitué à ce toc étrangement humain que j’avais développé. Dracula n’allait pas m’attendre.

Cette créature me fascinait autant qu’elle me faisait rire et lorsque j’avais reçu son invitation à un entretien, je m’étais empressé de répondre que j’acceptais. Après tout, ce n’était pas une fleur que je lui faisais même s’il pouvait l’interpréter comme il le souhaitait, j’aimais seulement à connaître mes ennemis car soyons franc : la paix ? Je n’y avais jamais cru. J’étais un démon de la guerre. J’avais connu celle des mythes, des dieux et des hommes et la paix n’avait jamais été que des phases vouées à s’écrouler dans le charnier des soldats. Oui, il y avait des ennemis. C’était l’essence même de l’existence sur terre. Mortels, ou immortels.

J’enfilai un manteau de velours rouge sur mon col roulé noir et me mis en route. Fidèle à mes habitudes, je ne volais pas. J’avais horreur de ça alors quand je pouvais l’éviter, ce n’était pas plus mal. Tranquillement, je descendis la pente douce de mes montagnes pour entrer dans la forêt que je traversais avec nonchalance, les mains dans les poches de mon pantalon. Si j’avais su siffler, je l’aurais fait.

J’arrivai enfin sur la Grand Place du village de Bran où le maître Vampire m’avait donné rendez-vous. Un lieu neutre pour les deux opposés que nous étions. Je savais qu’il était intelligent, suffisamment pour être prudent en tâtant le terrain avec le roi des Kochtcheï. Malgré sa jeunesse, le Saigneur de Bran méritait que je le considère comme un égal.

La brume avait recouvert la place dont seul quelques réverbères parvenaient à chasser péniblement l’opacité. La lune brillait dans le ciel sombre. Je n’attendais plus que la Légende de Valachie que je sentais approcher dans mon dos.

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La parole des Rois

Dracula & Koschei

Le retour du roi en ses terres méritait bien une petite rencontre diplomatique, n’est-ce pas ? En vérité, aux yeux de Dracula, c’était plutôt une mise au point après des rumeurs enflant au sujet du Sabbat et de ce qu’il pouvait se passer dans les bois, d’ailleurs de rumeurs ce n’en était plus. Il avait une petite espionne en ces lieux que personne n’oserait soupçonner. Elle-même n’était pas exactement des plus volontaires pour la tâche. Dracula était cependant un fin politicien que les remords n’étouffaient guère. Il avait sacrifié des amis, des enfants, des frères à ses fins politiques et ne le regrettait. La paix était difficile à obtenir, en vérité, il était plus facile de faire la guerre. Il était persuadé que le roi des Kochtcheï le savait autant que lui, n’était-il pas un guerrier lui aussi, un chef de guerre, il l’était depuis infiniment plus longtemps que lui. L’éternité ne prenait vraiment sens qu’une fois qu’on connaissait les mythes. Les poignées de siècles qu’il avait traversé ne représentaient rien en comparaison. Le Roi vampire en était conscient. Pourtant, il avait l’impression d’avoir imposé sa marque. Qu’est-ce que l’éternité si on n’en fait rien ? Lui avait bâti un royaume, une terre protégée, vaincu ses ennemis, les turcs, et parvenu à imposer une paix, un traité qui satisfaisait tout le monde. Du moins le croyait-il mais il semblait que ce n’était le cas pour les démons comme les sorcières. Il savait qu’ils étaient les invités privilégiés des Sabbats, et que le roi Koschei y participait. Lui dévoilerait-il ses intentions ? Rien n’était moins sûr. Mais peut-être que Dracula parviendrait à les deviner ?

La place était vidée, la nuit terriblement avancée, la lune esquisse dans le ciel, et dans les bois, les loups hurlaient comme pour saluer les seigneurs de la nuit et des ténèbres. Dracula s’était assuré que les villageois ne perturbent la rencontre même si, à une heure si tardive, la plupart dormaient d’un profond sommeil. Il s’était également assuré à ce que ses invités au château n’aient l’envie de venir passer par ici. Ainsi, il leur assurait une certaine tranquillité pour la rencontre. Dracula aurait préféré invité le roi en sa demeure, autrement plus fastueuse qu’une simple place de village où il aurait pu lui offrir à boire et à manger, voire une compagnie féminine assez divine pour lui plaire, il connaissait après tout les penchants du roi et son peuple. Cependant, Koschei avait préféré un endroit ouvert, extérieur, neutre, et Carmilla comme Cici lui avaient indiqué que cela serait sans nul doute préférable pour quelqu’un capable de s’envoler. Alors ils étaient là, somptueusement vêtus, royaux et imposants au milieu d’une vulgaire place de village, mais qu’importait n’est-ce pas ? C’était le contenu de la rencontre qui primait.

« Majesté, je suis heureux que vous ayez pu venir. » Comme promis, tous les deux étaient venus seuls, sans accompagnement, même si ce n’était nullement une rencontre de deux chefs de guerre pour un traité. Ils étaient en paix, officiellement, et Dracula tenait à ce qu’il en soit encore ainsi pendant quelques siècles. « Je tiens à vous remercier d’avoir répondu à mon appel. Je pense qu’il est important que nous nous entendions, si nous souhaitons voir le pacte prospérer. » Un léger sourire accompagne ses dires, alors que ses yeux scrutent le roi attendant soigneusement ses réactions à cette simple déclaration mais au sous-entendu évident.

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