De ces mains de bâtisseurs

Zima Ioanid & Koschei

Je m’ennuyais. Je m’ennuyais tellement ces derniers mois. Assis sur mon trône entouré de mon or, de mes biens, de ma collection de tableaux acquis depuis deux siècles, je m’ennuyais. J’écoutais les complaintes de mes enfants et sujets d’un air las. Même la jeune touriste mexicaine apportée par Milosz et sa sœur n’avait pas réussi à me redonner le moral. La jeune femme s’était avérée bien fade à mes désirs et mon appétit. La déception m’emportait en repensant au visage souriant de ma chère Katya.

Je détestais ça. Je détestais me morfondre. D’un claquement de paume sur l’accoudoir d’ébène, je les congédiai tous. Il me fallait m’amuser à nouveau. M’occuper les mains autant que l’esprit. Et je connaissais la solution. J’avais déjà employé cette méthode par le passé et elle était redoutablement efficace.

Cela faisait près d’un mois à présent que je travaillais à l’auberge, accomplissant les tâches secondaires et ingrates. Je coupais le bois, changeais les mèches des lampes, des ampoules lorsqu’il y en avait. Je plantais un clou par-ci, ravaudais les pieds d’une table par-là. Il m’arrivait même de façonner de nouveaux meubles lorsque j’avais fini le travail dont j’étais chargé. Une satisfaction intense qui occupait mon esprit bien âgé.

Un bonnet de laine grise enfoncé sur ma tête, j’agrippai la hache derrière l’auberge pour m’atteler au travail quotidien. Le bois était nécessaire en grande quantité pour ce type d’établissement et j’appréciai de sentir mes muscles s’activer sous cette enveloppe humaine que j’avais appris à chérir depuis le temps que je la portais. Arrivé tôt ce matin-là, je n’avais pas encore croisé ma patronne. Au demeurant fort agréable à la vue. L’un n’empêchait pas l’autre, pardonnez ma nature.

Après une bonne heure de besogne, j’avais fini par quitter bonnet, gilet et avais retroussé les manches de ma chemise quand j’entendis du bruit à l’intérieur de l’établissement m’avertissant du début officiel de la journée de travail. Je me redressai et passai mon avant-bras sur mon visage pour en éliminer la transpiration puis j’entrepris de porter le bois à l’intérieur.

— Mme Ioanid ! Belle journée d’hiver, n’est-ce pas ? la saluai-je avec un léger sourire.

Je déposai le bois près de la cheminée et m'appliquai à le ranger en une pile ordonnée. Il était toutefois hors de question que j’allume le feu. Je me tenais toujours éloigné lorsqu’il crépitait. De fait, en quelques semaines, la tenancière ne m’avait jamais demandé de le lancer et je ne m’étais jamais porté volontaire pour le faire. Tout allait bien de ce côté-là.

— Avez-vous passé une bonne nuit ? Toujours personne pour réchauffer vos draps ?

Oui, bon. C’était un peu déplacé pour un humain mais j’avais commencé avec mes sous-entendus dès mon entretien d’embauche alors elle ne pouvait que s’en prendre à elle-même. Mh… Cela dit peut-être que j’avais été un peu trop convaincant aussi… Bah. Je souris, à peine, en me redressant. Je sentais son regard posé sur moi et tournai les yeux vers elle pour la surprendre. Que pensait-elle en cet instant ? Qu’elle avait commis une erreur en acceptant un bellâtre qui ne semblait pas avoir de tabous ?

— Il me reste encore quelques bûches à couper mais je suis à vos ordres chère Patronne…

Un ton complaisant. Qui sonnait un peu faux aussi. Moi, le Roi de la Montagne qui m’inclinais devant une simple humaine. Savait-elle la chance qu’elle avait...

by eden memories