Entrevue interdite

Dracula & Lada

Le temps n'était plus favorable aux escapades silencieuses. Les pas laissaient à présent des traces sonores dans la neige. Il était tard aussi, l'heure des rendez-vous interdits pour lesquels il fait mieux de ne pas se faire prendre. D'une main tenait-elle son col de pardessus rouge pour se protéger du froid (elle regretta de ne pas avoir écouté ses Soeurs qui lui avaient conseillé de se parer d'une écharpe dès à présent), de l'autre tatonnait-elle le mur qui la conduirait jusqu'à son interlocuteur. Il faisait bien trop sombre pour ses yeux inhabitués à tant d’obscurité. L’Oupyr qui la conduisait ne s’en souciait guère - sa vie d’humain étant bien loin derrière lui ou bien son occupation étant prise par autre chose. Lada ne s’en vexait point : la sédentarité ne l’empêchait guère de se débrouiller seule et elle préférait se tenir à distance des Oupyrs. Ô il userait peu d’effort à réduire la distance qui les séparait, mais cela la réconfortait. Elle ne faisait confiance à aucun Oupyr. Pas même ceux envoyés par Dracula pour la conduire jusqu’à lui. Les vampires n’étaient fidèles qu’en leurs propres intérêts. La déesse avait appris avec le temps que leurs serments ne tenaient que selon leur bon vouloir. Aussi se trouvait-elle en très inconfortable posture : à peine capable de distinguer ses souliers, elle aurait été en incapacité à trouver son chemin dans ce labyrinthe qui la mènerait éventuellement au plus puissant Oupyr de la région. L’espace d’un instant elle douta de ses motivations et songea à faire demi-tour, pour finalement signer un « non » de la tête - jamais il ne lui serait possible d’éviter la rencontre avec Dracula. N'était-elle pas à l’origine de ce tête-à-tête ? Encore une décision adjugée sur un moment d’ambition adolescente. Celle qui était née de la main divine aurait dû se raisonner depuis. Il n’était pas sage d’ajouter une énième rencontre avec le Saigneur. Les dernières étaient suffisamment éprouvantes. Celle-ci creusait un énième écart à sa morale. Mais il n’était plus l’heure à l’hésitation. Elle se sentit confirmée dans sa détermination lorsqu’elle songea à la raison qui la menait à prendre tant de risques. Bientôt se tiendrait un bal où seraient réunis tous les camps, y compris les Chasseurs. Une nouvelle qui avait déclenché en la déesse une vive inquiétude. Elle fut bien incapable de calmer sa nervosité et décida précipitamment de convenir d’un rendez-vous avec l’initiateur de cette mascarade. Ses rencontres secrètes n’étaient jamais une partie de plaisir, mais c’était cette fois-ci une question d’équilibre. Personne ne pouvait se fier aux Chasseurs. Son inquiétude était telle que Lada remercia presque le chantage dont elle était victime : il lui permettait d’obtenir audience auprès de Dracula. Elle devait se concentrer sur cela. Loin d’elle la prétention de penser qu’elle puisse influer sur sa décision, il lui fallait cependant essayer.
Quand vint le dernier virage avant les quartiers qu'elle ne connaissait que trop bien à présent, Lada sentit une boule prendre place au creux de son vendre. Une appréhension, une culpabilité aussi, bien vite remplacées par une détermination : celle de protéger les mythes. Ce fut donc d’un élan franc qu’elle se présenta au Saigneur :

— Bonsoir Saigneur Dracula, je vous suis grée d’avoir accepté cette rencontre.

Elle finit par une révérence respectueuse.