Concerto
Il arrivait des soirs, ou même la plus grande pièce du Château se rétrécissait sur elle-même, dans l’esprit de Carmilla. C’était une de ces nuits-là. Dès son éveil, elle s’était sentie écrasée par le secrétaire, menacée par le piano, poursuivi par les romans qu’elle laissait de côté. Connaissant cette sensation, elle ne pouvait y opposer qu’un seul remède : la désertion.
Elle avait donc sonné sa gentille servante, pour qu’elle demande à faire atteler sa jument. Cependant qu’une autre s’occupait de sa toison noire, dont elle voulait falsifier la nature. Créant à l’aide d’un appareil chauffant des ondulations éphémères. Certes, pas aussi vulgaires que les permanentes des dames du Nouveaux Monde. Fantaisie capillaire qui donnait un goût pour ce minois trop reconnu. Une robe noirs aux jupons épais, un pendentif, offert par son tendre Vlad. La voilà prête à retrouver les mortels.
Bran était plus calme depuis quelques semaines. Allez savoir ce qui poussait les locaux à s'assagir. Cette inertie paraissait étrangère aux oreilles de l’Oupyr. Elle s’était accoutumée au chacrin des vendeurs d’histoires et de sommeil.
Où étaient donc passés les curieux ? Avait-il fallu qu’elle soit recluse un petit mois pour que le paysage change à ce point ? Elle en ferait discussion avec Dracula. Il lui arrivait, à ce bon prince, de l’épargner des tracas. Enfin, Carmilla savait où aller. Elle avait entendu la rumeur colportée par le personnel. La charmante Russesco faisait de nouveau un concerto cette nuit. Une voix divine que la Vampire avait déjà eu plaisir à écouter. Elle qui était si sensible à la beauté musicale se réjouissait d’un tel cadeau auditif.
Le tavernier vint lui couler un regard curieux. Il approchait ensuite, entre génuflexions hésitantes et méfiance. Carmilla avait sa réputation dans le comté. Elle était ambivalente. Ses revirements d’humeur étaient plus imprévisibles que les changements du temps. Elle apaisant le brave d’un sourire maternel. D’une poche interne, elle sortait de quoi payer le repas de l’artiste, ainsi que tout ce que la belle serait amenée à réclamer. Un ventre plein pouvait faire durer une prestation plus longtemps.
Gare à qui voudrait abuser de la bonté de la Comtesse Le Fanu.
La première partie fût exquise. Aussi délicieuse à l’ouïe qu’à la vue. La Tsigane maîtrisait son organe. Il était dommage que les humains soient des créatures si fragiles. Carmilla avait envie de voir le don de cette chanteuse à l’oeuvre. Mais Valentina n’avait pas le droit d’en user sur ce public.
Tranquille la Comtesse observait la Sensible. Se laissant observer à son tour. Le charme qui émanait d’elle était tout aussi naturel que le reste. Ses yeux couleur de puits déshabiller la jolie sirène avec une étrange sensualité. Elle appréciait cette part androgyne. Elle aimait cette silhouette élancée. On aurait dit un jeune chevalier.
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Puis-je ?” Carmilla ne demandait pas réellement. Elle avait une inflexion dans la voix, aussi douce qu’elle était indiscutable. Lentement, elle se mue pour prendre une place libre près d’elle. Un sourire aux milles et un charme venait sur ses lèvres délicates. Cette Oupyr ne cachait pas son attirance pour le beau-sexe. Elle était une séductrice aussi âgée que certaine de ses goûts. Déjà, son regard pénétrant sondait l’âme de Valentina, pour y trouver réponse à une question.
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Aimeriez-vous donner concert au Château du Comte ? ” Tout en parlant, la malice était venue éclairer son visage d’une lumière lunaire. A savoir si cette prestation pourrait se coupler à quelques plaisirs saphiques ? L’interrogation se trouvait cachée dans leur silence commun.